La derive des continents

La naissance d'une idée

Comment Alfred Wegener a-t-il conçu la théorie de la dérive des continents ?

Comme souvent en sciences, Wegener est le plus connu car c'est lui qui a réussi à imposer sa théorie. Pourtant il ne fût pas le premier à avoir cette idée. Il a su utiliser les travaux précédents, plus des nouvelles observations (découvertes) pour arriver à une conclusion rationnelle et argumenté de sa théorie. Les théories de ses prédécesseurs, manquaient souvent de rigueurs scientifiques et c'est pour cela qu'elles n'ont pu s'imposer.

 

Les précurseurs :

Francis Bacon : au XVI° siècle, en utilisant les premières cartes imprimées il notifie la complémentarité des continents.

François Placet (1668) : publie un mémoire intitulé "la corruption du grand et du petit monde", dans lequel il dit qu'avant le déluge l'Amérique n'était pas séparé et que tous les continents étaient réunis en un seul bloc. L'effondrement du continent nord-atlantique donna naissance à l'atlantique nord et sépara l'Amérique de l'Europe. C'est ce texte qui est à l'origine de la théorie des ponts continentaux.

Hugh Owen (1857) : paléontologue au British Museum. Les continents s'éloignent les uns des autres parce que la Terre enfle (se dilate) du fait de sa chaleur interne. Autrefois, à la fin de l'ère primaire (paléozoique), le volume de la Terre était comparable à celui de la planète Mars. Selon Owen, la Pangée couvrait alors la presque totalité du Globe et la Panthalassa (l'océan) n'existait pas et n'a jamais existé.

Antonio Snider-Pelligrini (1858) : Les continents se sont formés en un seul bloc à  partir d’un bloc de roche en fusion. Le déluge a mis fin à l’état d’instabilité de ce bloc en le refroidissant. Une gigantesque rupture s’est alors produite, entraînant la séparation des Amériques et du Vieux Monde.

Fisher (1881) : Il existe des courants de convection dans la croûte terrestre qui pourraient être à l'origine des montagnes.

Eduard Suess (1883) : La Terre est constitué de plusieurs couches. Elle contient un noyau en fer (Nife), un manteau sillico-magnésien le SIMA qui affleure au niveau des océans et les continents constitués de matériaux légers riche en sillico-alluminium (SIAL). Le SIAL est en équilibre sur le SIMA. Le refroidissement de la Terre aurait entraîné une diminution de son volume, donc de sa surface. Celle-ci aurait donc été mise sous compression, ce qui aurait été à l'origine et des chaînes de montagnes, et des vastes dépressions que constituaient les océans. Il y a donc des mouvements verticaux possibles du SIAL dans le SIMA.

 

sima.jpgSource : Fig. 2, « Die Entstehung der Kontinente », Geologische Rundschau, 3, 1912, p. 279 

 

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D'après : Livre de Géologie de classe de 4ème, V. BOULET, 1925,

 

Marcel Bertrand (1887) : Il observe des prolongements des chaînes de montagne de part et d'autres de l'Atlantique. C'est donc qu'auparavant ses montagnes se rejoignaient, grâce à des ponts continentaux. Par ailleurs, dans les montagnes certains terrains peuvent venir chevaucher des terrains d'âges et de natures très différentes. Ces recouvrements ou nappes de charriage ne peuvent se comprendre que par des mouvements tangentiels très importants (de l'ordre de la centaine de kilomètres).

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La chaîne des Alpes et la formation du continent européen, Bull. Soc. Géol. Fr., 3e série, 15, 1887, p.442

Emile Haug (1900) : les chaînes de montagnes se forment uniquement le long de bandes étroites (les géosynclinaux) intercalées entre des unités continentales stables. La déformation tectonique se confine donc dans des endroits précis du globe. Il démontre que la faune et la flore fossile existent sur plusieurs continents, ce qui confirme l'existence de ponts continentaux.

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Les géosynclinaux et les aires continentales, Bull. Soc. Géol. Fr., 3e série, 28, 1900, p.633

Frank B.Taylor (1910) : Formule l’hypothèse que l’Atlantique a été formé par la séparation de deux masses continentales qui ont dérivé lentement l’une par rapport à l’autre. Son hypothèse est fondée sur la similitude du tracé des côtes de part et d’autre de l’Atlantique. Il ajoute que les montagnes présentent du coté opposé à l'atlantique (Rocheuses en Amérique du Nord et Andes en Amérique du Sud) sont du au fait que le continent qui se déplace "racle" et forme un bourrelet. Il nome cet effet, un effet de buldozage (comme quand un buldozer pousse une plaque rigide). Mais la démonstration de Taylor est apparue trop compliquée et n’a pas réussi à convaincre ses contemporains.


 

Wegener naissance de la théorie de la dérive des continents

Alfred Wegener est un météorologiste passionné de géologie. La force de son hypothèse est d'avoir su utiliser les données existantes et d'ajouter de nouvelles données importantes. Il a utilisé les découvertes récentes et les a ajouté à son modèle au fur et à mesure de leurs apparitions. Toute sa vie son modèle sera affiné pour être en adéquation avec les découvertes scientifiques. La force du modèle et qu'il pouvait s'accommoder de toutes ces découvertes.

Wegener a utilisé les données existantes suivantes :

 - Complémentarité des côtes de part et d'autre de l'Atlantique.

 - Des fossiles d'une même espèce sont présents sur différents continents.

- Les chaînes de montagne se poursuivent de part et d'autre de l'Atlantique.

- Il y a des traces de glaciation sur différents continents. 

Ces différents éléments sont présents sur la carte suivante

 

wegener-derive-des-continent.jpg  Schéma représentant les traces géologiques sur différents continents

Ces données étaient connues, mais la force de Wegener est de donner une solution originale à cette somme d'indices. Il évoque que les continents ont dérivé et qu'avant ils étaient proches les uns des autres et formaient un seul et unique continent : la pangée. Le résumé de l'hypothèse de Wegener se trouve dans le schéma suivant.

wegener-pangee.jpg

 Schéma de l'hypothèse de Wegener. Le super-continent représenté s'appelle la pangée et l'océan Tethis

 Le modèle présenté ici, permet à Wegener de répondre à de nombreuses incohérences des autres théories. il permet aussi de répondre à de nombreuses questions. Toutefois, cette théorie n'est pas suffisante pour être révolutionnaire. Wegener a su ajouter des données supplémentaires pour compléter et renforcer sa théorie.

 

Les nouveautés de la théorie de Wegener 

La théorie de la dérive des continents est remarquable dans le sens ou les sujets abordés par Wegener pour compléter sa théorie ont permis, par la suite, de faire progresser la géologie et la compréhension de notre Terre. En plus d'utiliser les choses connues, Wegener a apporté les informations complémentaires suivantes.

 - La statistique des altitudes de la croûte terrestre. Sur le schéma ci-dessous représentant la fréquence des altitudes en fonction de la surface. Il démontre qu'il y a 2 pics au lieu d'une distribution gaussienne centrée sur une moyenne comme on pourrait s'y attendre si la distribution était faite au hasard. Selon wegener l'existence de ces 2 pics, de même amplitude, démontre qu'il y a un équilibre entre le SIAL et le SIMA.

bimod-des-altitudes.png Graphique de la distribution bimodale de la croûte terrestre, adapté à partir des données modernes.

 - La mobilité du SIAL. En effet les montagnes et les croûtes continentales sont constituées de SIAL, plus légère que le SIMA . Les études de Suess  démontrent un équilibre dans le SIAL et le SIMA. Sess démontre qu'une montage (donc constituée du SIAL) s'enfonce plus ou moins dans le SIMA en fonction de son altitude. Une montagne se comporterait comme un glaçon (le SIAL) dans l'eau (le SIMA). Lorsque la montagne s'érode, la racine de celle-ci se réduit. 

Wegener récupère cette idée pour justifier que si des mouvements verticaux sont possibles, alors des mouvements horizontaux le sont aussi. Par ailleurs, il réfute la théorie des ponts continentaux en posant la question :  Comment un matériel léger comme le SIAL peut-il s'enfoncer dans un matériaux plus dense comme le SIMA?

 

Le rejet de le théorie de Wegener

La théorie de Wegener fût dans un premier temps ignorée, puis en 1922 la théorie de la dérive des continents fût violemment rejetée par une majorité de la communauté scientifique. Les raisons de ce rejet sont multiples, certains sont basés sur des faits scientifiques et rationnels d'autres beaucoup moins.

- La première raison de rejet fût de dire que Wegener n'expliquait pas ce qui se passait au fond des océans.

- La deuxième raison est la théorie des ponts continentaux, qui était bien ancrée dans la communauté scientifique (voir schéma de Haug). Cette théorie des ponts continentaux était complétée par la théorie de l'effondrement (où une partie d'un continent, c'était effondré pour donner naissance à un océan).

- La complémentarité partielle des côtes de l'Atlantique, en particulier dans l'Atlantique Nord. La correspondance des côtes n'étant que le fruit du hasard.

- Le métier de Wegener. Il était météorologiste, il ne pouvait donc rien connaître à la géologie.

- Les mécanismes responsables de la dérive des continents. A l'époque il a été démontré que la terre est un milieu solide. Par conséquent, pour que les continents dérivent il faudrait une force considérable. Wegener n'a aucune idée de l'origine de la force responsable de la dérive des continents. Il suppose que la dérive est due à la force de Corriolis (voir page explicative). Wegener explique que si le SIMA est visqueux alors une petite force appliquée pendant des milliers d'années pourrait déplacer un continent. Harold Jeffreys (physicien) démontrera que les calculs de Wegener sont faux. Il sera l'un des plus farouches opposant a Wegener et responsable de l'abandon de la théorie de Wegener en 1930.

- La dérive des continents suppose l'existence d'un liquide visqueux (le SIMA), or à l'époque la propagation des ondes sismiques démontrent que la lithosphère est solide, ce n'est donc pas possible.

- Le fait de ne pas pouvoir remettre en question des données ancestrales supposées justes et immuables.

Quelques réactions à la théorie de la dérive des continents de 1922 à 1930

Lake « Wegener lui-même n'aide pas son lecteur à se faire un jugement impartial. Même si son attitude a pu être originale, dans son livre, il ne cherche pas la vérité, il défend une cause, et il ferme les yeux devant chaque fait et chaque argument qui la contredit » (U. Marxin, Continental drift : Evolution of a concept, Washington, Smithsonian Institution Press, 1973, p.83).

Harold Jeffreys « Une autre hypothèse impossible est fondée sur la conception que la Terre est dénuée de toute résistance à la déformation [seuil de plasticité nul]. Cette hypothèse affirme qu'une petite force peut non seulement provoquer des mouvements indéfiniment grands, à condition qu'elle dispose d'une durée suffisante, mais encore qu'elle peut surmonter une force plusieurs fois plus importante et agissant dans le sens inverse pendant la même durée. Par exemple, selon la théorie de Wegener, une force minuscule n'aurait pas seulement déplacé l'Amérique par-delà l'Atlantique actuel, mais encore la résistance opposé à ce mouvement par le fond du Pacifique aurait provoqué l'élévation des montagnes Rocheuses. […] Pour que cette formation de montagnes se réalise toutefois, il faut un apport d'énergie pour élever les roches concernées ; la contrainte disponible doit surmonter la gravitation et doit donc dépasser la pression exercée par le poids de la montagne. Le frottement des marées et les différences entre les valeurs de la gravitation dans les parties supérieures et inférieures des continents sont généralement les forces invoquées par des théories de ce type ; elles sont capables de produire des contraintes de l'ordre de 10-5 dynes/cm2 [10-6 Pa], alors que pour élever les Rocheuses il faudrait environ 109 dynes/cm2 [108 Pa]. La supposition selon laquelle la Terre pourrait être déformée indéfiniment par de petites forces à la seule condition que celles-ci agissent longtemps, est donc une supposition très dangereuse, qui peut conduire à des erreurs graves » (Harold Jeffreys, The Earth, 1924, Cambridge, University Press, p.261).

« Il n'y a par conséquent pas la moindre raison de croire que des déplacements en bloc de continents à travers la lithosphère soient possibles. (…) Une dérive séculaire des continents, telle qu'elle a pu être soutenue par A. Wegener et autres, est hors de questions » (H. Jeffreys, The Earth, 2e édition, 1929, p.304-305).

« J'ai examiné assez longuement la théorie du professeur Holmes sur les courants de convection, et je n'ai trouvé aucun test qui pourrait l'appuyer ou la contredire. Autant que je peux voir, elle ne contient rien de fondamentalement impossible, mais l'association de conditions devant être réunies pour qu'elle puisse fonctionner appartient plutôt au domaine de l'extraordinaire » (Harold Jeffreys, in H. Frankel, Arthur Holmes and continental drift, The British Journal for the History of Science, 11, 38, 130-149, 1978, p.146).

Pierre Termier : « C'est un beau rêve, le rêve d'un grand poète. Mais essaye-t-on de l'étreindre, on s'aperçoit n'avoir dans les bras que de la vapeur, de la fumée. Elle attire, elle intéresse, elle amuse l'esprit, mais la solidité lui manque » (Pierre Termier, La Dérive des continents, Monaco, 1924)

Chamberlin « Si nous croyons l'hypothèse de Wegener, nous devons oublier tout ce que nous avons appris dans les soixante-dix dernières années et retourner sur les bancs de l'école. » (R. T. Chamberlin, « Some of the objection to Wegener's Theory », in W. A. Van Waterschoot Van Der Gracht, Theory of continental drift : a symposium, Tulsa, American Asociation of the Petroleum Geologists, 1928, p. 87.)

La théorie de Wegener ne disparaitra pas totalement à la fin des années 30 et plusieurs personnes de renom, considèrent cette théorie comme juste. Pendant longtemps la théorie de la dérive des continents restera une alternative à la théorie des ponts continentaux pour une minorité. Avant d'être définitivement reconnu dans les années 1970 grâce aux progrès de la géologie moderne.

 

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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

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